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La racine de l' Ayurvéda

02/04/2015

La racine de l' Ayurvéda

En Inde, on admet communément que l'Ayurveda est éternel et ne se réfère pas au travail d'un auteur particulier. L'Ayurvéda est en effet considéré comme un ensemble de principes de vie, né avec le monde lui-même et immuable, en tout temps et en tout lieu. Selon la mythologie indienne, l'Ayurveda fut établi Pour le bienfait de I'humanité par Brahmâ et transmis oralement jusqu'à Agnivesa, à travers Prajapati, Awinideva, Indra et Atreya... Atreya, Charaka, Sushruta et Vagbhata furent les premiers à compiler et documenter ce système médical, préservé jusqu'a nos jours par des générations de familles de vaidya ou médecins traditionnels.

 

 

Le contexte historique et religieux

 

L'Ayurveda est un Upaveda, c'est-à-dire une branche, ou Véda subordonné, de l'Atharva-Veda, l'un des quatre principaux Veda, textes sacrés qui constituent les prémices de l'hindouisme (- 3900 av. JC a -1500 av. JC).  Les 3 autres Veda sont le Rig-Veda, Sama-veda et Vajur-Veda. Cependant ces textes très anciens peuvent être regardés plus comme des textes religieux que comme des traités médicaux à proprement parler. Les principes qui y sont énoncés sont principalement des prières, chants et hymnes destinés à amener la santé et a se protéger des intentions néfastes des déités maladies. Ce n'est qu'avec des ouvrages plus récents tels le Charaka Samhita et le Sushruta Samhita que l'on peut commencer à parler d'une littérature purement médicale en Inde. Ces textes rédigés sous forme de vers ou slokas font toujours référence et doivent être mémorisés par coeur par les étudiants en Ayurveda. Dans le sud, c'est souvent l'Astanga Hrdayam (de hrdaya, le coeur, de l'astanga, c'est-à-dire les huit membres de la médecine ayurvédique), une forme résumée des deux premières compilations, qui est pris comme ouvrage de référence.

 

Etymologie

 

Le terme Ayurveda a pour signification littérale " connaissance ou la science (véda) de la longévité (ayus)". Une ancienne définition étymologique de ce terme est présentée ainsi : "On l'appelle Ayurveda car il nous dit (vedayati) quelles substances, qualités et actions sont favorables pour prolonger la vie (ayusya), et lesquelles ne le sont pas." Charaka 1.30.23

L'Ayurveda est un système de pratique médicale générale, qui comprend à la fois des aspects préventifs et curatifs. II contient un grand nombre d'excellents conseils pratiques pour tout un chacun, sur tous les aspects possibles et imaginables de la vie : brossage des dents, diététique,  rythme de vie et occupations, morale, etc.
 
L'Ayurveda fournit également des enseignements médicaux plus spécialisés sur les aspects du diagnostique et des traitements, destines, eux, aux médecins professionnels. Ainsi, dans le Sushruta Samhita, on trouve des descriptions détaillées de diverses interventions chirurgicales, telles que des interventions de chirurgie plastique du lobe de l'oreille et du nez. (Sushruta Samhita 1.16)

Les concepts fondamentaux de l'Ayurveda    

 

II est assez difficile de choisir un seul groupe d'idées et d'en faire "les fondations" de l'Ayurveda. En effet l'Ayurveda regroupe un très vaste ensemble de connaissances médicales, avec différents niveaux de compréhension et d'interprétations historiques. Cependant, l'un des plus importants concepts dans la tradition ayurvédique est celui qui relie ensemble les humeurs (doshas), les tissus corporels (dhatus) et les déchets (malas). La théorie des trois humeurs, ou tridosha-vidya, enseigne que trois substances semi-fluides sont présentes dans le corps et régulent son état. Les humeurs sont le vent (vata), la bile (pitta) et le flegme (kapha).


"Quand il n'est pas malade, le vent aide le corps en lui amenant énergie, inspire, expire, mouvement, et les actions des besoins naturels. II aide les tissus a se déplacer correctement, et a maintenir les sens en éveil. La bile aide le corps avec la digestion, la chaleur et la vision. Elle aide aussi avec la faim, la soif, l'appétit, l'apparence, la mémoire, l'intelligence, le courage et la souplesse du corps. Le phlegme aide le corps avec la stabilité, l'onctuosité, la cohésion, la patience, etc." (Vagbhata 1.11)

 

Ces humeurs interagissent avec les sept constituants du corps ou sept dhatus: le plasma (rasa), le sang (rakta), la chair et les tissus musculaires (mamsa), les tissus adipeux (meda), les tissus osseux (asthi),  la moelle et les tissus nerveux (majja) et enfin les tissus reproducteurs (shukra). Elles interagissent également avec les déchets du corps.

 

L'Ayurveda utilise principalement des médecines d'origine végétale et animale, et il enseigne un large éventail de thérapies, parmi lesquelles: des régimes, des lavements, des massages, des saignées, des onctions, sudations ainsi que certains actes chirurgicaux. Une grande partie des textes classiques porte sur le respect de règles d'hygiène de vie et l'élimination des habitudes propices à générer des maladies. On trouve ainsi des descriptions détaillées de routines journalières idéales (en fonction de la saison, du lieu, etc…) sensées garantir une vie longue, saine, prospère et heureuse, vue comme but de l'existence humaine. En matière de nourriture, sommeil, exercice physique, sexualité, ou encore dans les prescriptions médicales, tous les traites insistent sur le principe de modération. Ceci est un principe fondamentalement bouddhiste, rejoignant les enseignements de "La Voie du Milieu".  Bouddhisme et Ayurveda se seraient en effet largement influencés au cours des siècles. Un autre aspect important de modération est présent dans l'enseignement ayurvédique : ne pas réprimer les besoins naturels du corps, sous faute de s'exposer à divers déséquilibres et maladies.


"Un homme sage ne réprime pas les besoins naturels lies a l'urine ou aux excréments, au sperme, au vent, a la nausée, aux éternuements, au besoin de se nettoyer la gorge, aux bâillements ni aux besoins de la faim et de la soif, des larmes ou du sommeil. (...) Quiconque désire son propre bien, ici et plus tard, devrait réprimer les tendances aux comportements impétueux et déshonorables, en pensée, en parole ou en acte. (...) Une personne intelligente ne devrait pas s'habituer à l'excès, même en ce qui concerne des choses acceptables telles que l'exercice physique, le rire, la parole, les voyages, les relations sexuelles ou les veillées tardives. (...) Une personne qui se laisse aller a l'excès dans ce type d'activités risque de périr, tel le lion s'attaquant a un éléphant." (Charaka 1.7)

 

Pour comprendre le système de diagnostiques et de thérapies que propose l'Ayurveda, il est nécessaire d'avoir une certaine connaissance de la conception ayurvédique du corps et de ses fonctions.  La fameuse illustration de "l'homme ayurvédique" nous montre une vue de l'intérieur du corps humain, tel que l'Ayurveda l'envisage à la fin 19eme siècle. Le processus central en est la digestion, considérée comme une forme de cuisson. Ainsi, tous les termes en sanskrit pour décrire la digestion impliquent "cuire" ou "brûler", et la force digestive elle-même est appelée "le feu" (agni).

 

La nourriture ainsi "cuite" par ce feu digestif se transforme dans l'estomac en un jus, le premier des sept tissus corporels, appelé rasa. Puis, sous l'action de la bile (pitta), ce jus est transforme  en rakta, deuxième des tissus. Rakta est ensuite transforme en mamsa et ainsi de suite jusqu'à  obtenir l'essence suprême générée par le corps: shukra. Ojas, souvent traduit par "énergie vitale" est la quintessence des sept dhatus. Ojas est la source essentielle de la force du corps. De la qualité d'ojas dépendront toutes nos aptitudes physiques et notre bonne santé. Inversement, une  diminution d'ojas conduira a l'affaiblissement des défenses immunitaires, et, par suite, aux maladies.

 

"Dérivant des tissus corporels on trouve les sept tissus dérivés : le lait maternel, le sang menstruel, la graisse, la sueur, les dents, les cheveux et enfin ojas (...) Ojas est présent dans tout le corps et est considéré comme froid, huileux, et solide. II est de nature froide et donne au corps puissance et nourriture." Samgadhara 1.5

 

Un réseau de tubes parcourant le corps transporte ces substances d'un endroit à l'autre, de même que sont transportées les humeurs, les sensations, le vent et la pensée... On peut ainsi envisager comment, lorsqu'un élément de ce processus complexe fait obstacle au fonctionnement général, les déséquilibres et maladies apparaissent.

 

Selon l'Ayurveda, la principale cause des maladies est l'aggravation ou déséquilibre des doshas, c'est à dire l'excès d'un ou plusieurs doshas, combiné à une faiblesse du feu digestif. En effet un feu digestif affaibli (par des erreurs dans l'alimentation, le mode de vie, etc.), entraînera la création d'ama ou toxines (masse alimentaire non digérée), qui mélangé au dosa en excès, va obstruer les canaux puis se déposer dans un endroit affaibli et y provoquer la maladie.

 

Les thérapies ayurvédiques viseront donc essentiellement à rétablir l'équilibre, en pacifiant les doshas en excès ou en procédant à leur élimination pure et simple du système. Pour cela, l'Ayurveda a mis au point un processus thérapeutique rigoureux et exigeant, nécessitant une préparation et une participation active du patient.

 


Les thérapies ayurvédiques de purification

 

Les thérapies de purification, connues sous le nom de panchakarma, forment le cœur du processus de traitement par l'Ayurveda, Cependant l'art et la manière de mettre en oeuvre ces thérapies sont bien souvent ignorés ou négligés, particulièrement en occident ou l'Ayurveda est le plus souvent assimilé aux seuls aspects du massage et de simples soins de détente et de beauté.

 

Les étapes du panchakarma

 

Pour être conduit efficacement et sans danger pour le patient, le panchakarma (de pancha cinq et karma action) demande une longue préparation, parfois peu compatible avec le rythme de vie occidental et demandant un engagement total de la part du patient.

 

Shamana : l'examen par le médecin ayurvédique (observation, interrogation, palpation, prise du pouls, etc.) doit déterminer les déséquilibres présents dans l'organisme, et la présence éventuelle d'ama ou toxines, qui devront étre éliminées par les techniques de shamana. Cette désintoxication se fait par la prescription de plantes visant principalement à stimuler la digestion et brûler les toxines, par les jeûnes, les purges et lavements ainsi que par un regime anti-ama, par l'exercice physique et l'exposition au soleil et au vent. Si les doshas aggravées se trouvent encore mélangées aux tissus, aux déchets ou à ama, il sera en effet impossible de les éliminer complètement et le traitement sera inefficace. C'est pourquoi shamana est essentiel et vise principalement a réduire ama et à apaiser les doshas pour favoriser leur élimination à l'aide des techniques de purification qui suivront.

 

Snehasvedana     : Une fois que ama a été éliminé avec succès, le patient doit encore être préparé par application d'huile et par  sudation, les deux termes clefs des thérapies ayurvédiques, de sneba (la graisse, l'amour) et sveda (la sueur). L'application d'huile peut être faite en administrant par voie orale des huiles et autres substances grasses. Ainsi le ghee, beurre clarifié très utilisé dans la cuisine indienne, est perçu comme le lubrificateur par excellence d'autant qu'il joue également le rôle de véhicule des substances médicinales qu'on lui ajoute. On peut également avoir recours a des clystères, des gouttes nasales, des applications d'huiles sur le crâne, dans les yeux, les oreilles... et, bien sûr, au massage à l'huile du corps entier (abhyanga). Le massage est ici vu comme un procédé permettant de faire pénétrer de grandes quantités d'huiles et donc de substances médicinales dans le corps. C'est la qualité de ces huiles et leur choix judicieux en fonction de la condition du patient, qui déterminera l'effet thérapeutique de l'abhyanga. La sudation peut être réalisée de nombreuses manières selon la condition du patient. Les bains de vapeurs sont courants, soit dans un caisson de sudation, soit au moyen de jets de vapeur permettant de concentrer la chaleur sur les zones à traiter (nadi sveda). Un autre procédé permettant de faire suer le corps tout en faisant pénétrer des substances médicinales par les pores ouverts par la chaleur est appelé pinda svedam. Pour cela, on prépare de petits sacs en tissus (kizhis) bourrés de plantes et épicés que l'on chauffe par immersion dans un liquide bouillant (huile, décoction, lait...) ou, par contact, sur une plaque chaude.

 

Les kizhis sont alors utilisés pour masser, frictionner ou tamponner tout le corps, ou en concentrant leur actions sur des zones particulières. On procède également a de véritables bains d'huile en faisant couler sur tout le corps des huiles médicinales chaudes. Ce procédé nomme pizhichil ou thailadhara requiert une mise en place très soigneuse et jusqu'a cinq masseurs et assistants expérimentés qui veilleront a ne jamais laisser l'huile s'accumuler sur la table et à la maintenir à température idéale. La quantité d'huile médicinale mise en jeu (environ 6 litres) est également un obstacle a la réalisation de ces techniques en occident, a moins de posséder sa propre fabrique, ce qui est extrêmement rare. Ces traitements préliminaires ont pour but d'ouvrir les canaux du corps et de "liquéfier" les humeurs ayant cause des blocages, pour leur permettre soit d'être éliminées via le système digestif, soit de retourner a leur place dans le corps.

 

Shodhana : Grâce a l'application d'huile et à la sudation, les doshas déséquilibrés ont été dirigés vers l'appareil gastro-intestinal. Il est alors capital de les éliminer par des méthodes appropriées, différentes selon chaque patient et déterminées grâce au diagnostique ayurvédique. Si cette étape n'est pas correctement réalisee, les doshas risquent d'être réabsorbées, causant souffrance et maladies. Si le corps a été bien prépareé la purification ou shodhana pourra être appliquée avec succès et sans risque d'affaiblir le patient. Les techniques de purification principales sont connues sous le nom panchakarma.

 

Vamana : Le vomissement thérapeutique est provoqué en administrant de puissantes tisanes de plantes émétiques. Vamana est principalement prescrit aux types kapha, c'est-à-dire sujets a l'accumulation de mucus dans les poumons et l'estomac. Il est contre-indiqué pour les personnes faibles en particulier les types vata.

 

Virechana : la purge thérapeutique est largement utilisée dans le processus de purification. Sa mise en place est relativement simple, bien que le choix et le dosage du purgatif à utiliser demande une bonne connaissance de la condition du patient afin de ne pas risquer de trop affaiblir l'organisme. Virechana  convient dans tous les cas où il s'avère nécessaire de nettoyer l'intestin grêle, en particulier pour éliminer un excès de pitta.

 

Basti : le lavement médical purifiant est effectue en administrant des décoctions de plantes dans l'anus au moyen d'une seringue. II sert à dissiper l'excès de vata de son siège, le gros intestin. Avec virechana, basti constitue l'autre traitement phare du panchakarma et peut convenir à de nombreux types, en prenant garde a ne pas trop assécher l'organisme et à faire suivre de lavements régénérant à base d'huile.

 

Nasya : selon l'Ayurveda, les narines sont les ouvertures les plus proches et faciles d'accès pour amener les médecines a la cavité crânienne. Le traitement nasal dit nasya est donc très répandu, non seulement dans le cadre d'un panchakarma, mais aussi en tant que traitement d'entretien régulier. L'administration de plantes se fait sous forme de poudres, huiles ou décoctions versées avec précaution dans les orifices nasaux, ou encore en faisant inhaler au patient la fumée émanant d'un cône rempli de plantes médicinales. En préparation à nasya, un massage de la tête, du cou et du visage a l'huile est recommandé, suivi d'une application de vapeur sur ces mêmes zones. Les pieds et mains doivent ensuite être frictionnés vigoureusement. Nasya est prescrit pour de nombreuses affections, principalement concernant la région au dessus du cou. Ainsi pour kapha, nasya permet de réduire un excès de mucus dans les sinus.

 

Raktamoksha : la saignée thérapeutique était autrefois couramment pratiquée soit par application de sangsues spécialement préparees, soit au moyen de fines incisions de la peau en des endroits précis. De nos jours la pratique de raktamoksha est plus rare, certains médecins considérant que l'utilisation de plantes ayant un effet purificateur du sang s'avère suffisamment éfficace dans la plupart des cas.

 

Conclusion

 

La description complète et detaillée des différentes techniques thérapeutiques dépassant le cadre de cet article, le lecteur intéressé voudra bien se référer aux ouvrages indiqués dans la bibliographie. En guise de conclusion, on rappellera que l'application des procédés décrits succinctement ici relève de l'expertise d'un médecin compétent. En effet les paramètres à prendre en compte sont nombreux (condition actuelle et histoire  médicale du patient mais aussi saison, climat, etc.) et certains patients trop faibles ne sont pas aptes à recevoir le panchakarma. II est également essentiel de savoir comment rectifier les éventuelles complications pouvant apparaître en cours de traitement. Les personnes souhaitant effectuer ce type de cure sont de plus en plus nombreuses a se rendre aujourd'hui en Inde à cette seule fin. Un vaste choix  d'établissements s'est donc développé en réponse a cette demande... du simple hôpital ayurvédique traditionnel où vous devrez vous adapter au mode de vie indien, jusqu'au cinq étoiles en bord de mer ou vos habitudes occidentales seront moins remises en question !

 

 

 

 

 Lise Noel  - Association Agni

 agnipurusha@gmail.com

 

Avec l'aimable autorisation de la revue Infos-Yoga  Le journal à l'usage des aventuriers de l'âme

article paru sur Infos-Yoga en mai 2008.

 

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